Amazon ou Armageddon?

Une amie me signale il y a quelques temps qu’un de mes CD est en téléchargement payant sur Amazone. Je lui réponds qu’elle se trompe certainement ; que mes livres et CD y soient oui, j’ai vu, j’ai bien vu, que cette entreprise de truanderie à grande échelle vend ceux-ci deux, voire trois fois leur prix public. Ils ne sont pas épuisés, et si on respecte la loi du prix unique du livre de 1983, il n’y a aucune raison de faire exploser le leur comme s’il s’agissait de raretés pour collectionneurs.

 

Avis, par parenthèse, aux amateurs de mes disques et livres : ceux-ci sont toujours en vente sur mon site à un prix modique, on peut aussi les commander par correspondance, et il n’est pas utile de se faire plumer par cette entreprise au nom illustre, avec laquelle je n’ai jamais signé aucun accord de diffusion. Mieux vaut aider les fragiles structures indépendantes, les coquilles de noix qui affrontent les tempêtes du « marché ».

 

Cette découverte calamiteuse arrive d’ailleurs au moment où je me posais, de manière probablement naïve, et après beaucoup d’hésitations, la question de mettre une partie de mes titres enregistrés sur CD en vente sur des plateformes de téléchargement. Nous voici obligés, par la disparition progressive des lecteurs de CD, d’opter pour ces solutions dites dématérialisées mais qui fonctionnent grâce à l’existence de Big data centers, dont la très matérielle consommation électrique a explosé dans le monde en une décennie, et équivaut aujourd’hui à celle de l’agglomération de Tokyo.

 

Je continue de produire, grâce à la structure associative qui me soutient, des objets d’un autre temps : livres de papier et galettes plastiques de CD. J’ai été un temps culpabilisé par l’impact négatif de ces derniers objets sur l’environnement.

On nous a rebattu les oreilles de «  préservez la planète, n’imprimez pas ce message ». Or la chaîne du recyclage du papier est la plus ancienne et la plus efficace. Et l’impression de quelques centaines ou milliers de CD est peu de chose au vu de milliards d’objets plus ou moins utiles qui nous viennent indirectement du pétrole, et des plate-formes énergivores des Gafam et de Netflix.

 

Tout ce qui est dégueulasse porte un joli nom, chantait Allain Leprest. Je regrette que le beau fleuve Amazone, comme les fières guerrières de l’Antiquité se soient fait piquer leur nom par un trust spécialisé dans la grugerie internationale.

J’avais gardé ce billet d’humeur sous le coude depuis quelques mois, j’hésitais à pousser ma gueulante, mais voici qu’avec la pandémie j’apprends que l’homme le plus riche du monde, qui met à genoux toute la chaîne culturelle avec quelques autres puissants, non content d’accumuler les pesos, traite son personnel en négrier des temps modernes.

Qu’un déboiseur de la culture ait donné à son entreprise le nom d’Amazon sonne comme un écho sinistre à d’autres liquidateurs qui s’attachent à massacrer le poumon forestier du monde. Ce n’est pas l’asphyxie violente infligée à Georges Floyd par un policier raciste, mais c’est un autre type d’asphyxie, lente, insidieuse et arrogante qui étouffe la culture mondiale.

Pardon pour cette banalité, mais je veux parler de ce qui nous déplaît à tous : nous traînons cette menotte mentale, ce chewing-gum du capitaine Haddock, la dépendance de plus en plus grande au numérique, dont le sevrage, même relatif, est difficile, voire impossible sans opter pour une marginalisation difficile à mesurer.

Pour revenir à l’entourloupe du Sieur Bezos, ou du moins de son entreprise de rafle mondiale (car je me doute bien n’être qu’un protozoaire dans la nasse immense du e-commerce), j’ai demandé à la SACEM qui est censée défendre ses sociétaires dont je suis d’enquêter sur cette vente totalement illicite.

On m’a fait comprendre que la seule chose possible était de vérifier si des droits ont été générés par ces ventes. En langage clair, la SACEM va vérifier si cette vente illicite fait entrer de l’argent dans ses caisses, qu’elle me reverserait éventuellement, en prélevant son pourcentage de gestion. Cette gestion s’arrête à la perception des droits, il ne faut pas attendre d’autre soutien juridique. J’attends depuis février 2020 une réponse. Nous sommes dans le monde du free business, et on ne dérange pas facilement l’ogre dans son sommeil quand il digère.

Quant à contacter directement Amazone, autant chercher une goutte d’eau dans un nuage : tout est dans le « Cloud », et comme Dieu, Amazone n’a pas d’adresse…

Mihcel Arbatz, septembre 2020

 

 

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